Coup d’Etat déjoué au Bénin: Témoignage du Col Tévoèdjrè, commandant de la Garde républicaine

Coup d’Etat déjoué au Bénin: Témoignage du Col Tévoèdjrè, commandant de la Garde républicaine

Le colonel Dieudonné Tévoèdjrè, commandant de la garde républicaine béninoise, patron de la sécurité du président Patrice Talon, livre son témoignage sur Rfi.

Colonel Tévodjrè, il y a eu une tentative de coup d’État dimanche dernier. Comment ça s’est passé ?

Tout a commencé à 2h10, où j’ai reçu un appel du général de Corps d’armée Bertin Bada, qui est le directeur de cabinet militaire du Président de la République. Il m’a alerté qu’il était attaqué à son domicile par des hommes cagoulés.

Et là, je lui ai demandé la géolocalisation de sa maison pour pouvoir envoyer des renforts dans sa maison. Mais tout de suite, les choses se sont enchaînées, parce qu’à la suite du général Bada, le général Abou Issa, qui est le chef d’État-major de l’armée de terre, m’a appelé également. Lui aussi, il était attaqué.

Alors, j’ai compris tout de suite que ce n’était pas un acte isolé ou de délinquants, mais que ça pourrait être une tentative d’atteinte à la sécurité d’État. Et en tant que premier responsable de la sécurité d’État, j’ai fait alerter la guerre républicaine. Moi-même, je me suis porté au niveau de mon unité pour pouvoir éventuellement défendre la patrie.

Et ça n’a pas raté. Et après avoir kidnappé le chef d’état-major de la Garde nationale, et je précise que la Garde nationale est une création récente du chef de l’État pour pouvoir faire face au terrorisme que nous avons actuellement au nord du pays. Donc, après avoir fait ces actes ignobles, ils ont décidé maintenant de s’attaquer aux institutions de la République, notamment à la personnalité du chef de l’État.

Et au petit matin, à 5h15, ils ont attaqué le domicile du chef de l’État, où, heureusement, moi-même, je m’étais déjà apporté pour organiser la défense aussi bien de la résidence que du palais présidentiel. Donc, j’étais présent au domicile du président de la République quand la horde d’assaillants a attaqué le domicile. Et nous avons organisé la riposte. Et ils ont été surpris de la réponse et de la détermination de mes hommes. Et c’est cela qui les a mis en déroute.

Alors, je crois que les affrontements ont été violents devant la résidence du chef de l’État. Est-ce que le président et son épouse étaient à l’intérieur de la résidence ?

Oui. Je vous confirme que le président et son épouse étaient présents sur les lieux. Mais j’ai été agréablement surpris du courage du président de la République, qui était collé à moi pour suivre les combats, malgré mon assistance et à lui demander d’aller s’asseoir. Il a tenu à être à mes côtés et à suivre les opérations.

Et ces affrontements devant cette résidence ont duré combien de temps ?

C’était des affrontements très violents qui ont duré environ 45 minutes. Parce que les enseignants ont attaqué d’abord avec des engins blindés. Et nous aussi, nous avions nos engins blindés sur place. Et c’était un combat farouche. Après, ils ont utilisé les différentes ruelles menant à la résidence. Mais c’est sans savoir que ces ruelles-là étaient bien tenues. Ils ont été mis en déroute.

Est-ce qu’il y a eu des morts ?

Oui. Je ne peux pas savoir combien de morts il y a eu de l’autre côté. De notre côté, nous avons eu un seul mort et un blessé.

Alors c’est après qu’ils ont été repoussés par les hommes qu’ils que ces mutins se sont dirigés vers la télévision d’État ?

Exact. Après avoir échoué dans le plan de capturer ou d’éliminer le président de la République, ils tenaient quand même à dérouler le plan qu’ils avaient. Donc, ils sont allés à la télévision nationale où ils ont, dans la précipitation, fait passer ce message que vous avez vu. Et pendant qu’ils étaient en train de passer le message, nous, on est passé à la contre-offensive. Nous avons détruit l’un de leur blindé  et c’était la débandade.

Et c’est là qu’ils ont, dans la précipitation également, abandonné la télévision et nous avons dès lors, avec le soutien des renforts des unités voisines venant de Ouidah et de Dessa (Allada), nous avons repris possession de la télévision nationale. Et les mutins se sont ensuite retranchés sur la base de Togbin, qui est située à 10 kilomètres environ du centre-ville de Cotonou.

Et alors là, c’est pendant plusieurs heures, face à face, entre les loyalistes et les mutins, sur la base militaire de Togbin. Et à ce moment-là, qu’est-ce que vous décidez ? Est-ce que vous faites appel à des amis, notamment venus du Nigeria, c’est ça ?

Premièrement. Nous avons encerclé la base. Et notre première idée, c’était de monter l’assaut sur la base. Mais au dernier moment, vu que la base se situait en plein milieu d’agglomération, et nous étions en pleine journée, il ne fallait pas créer des dommages au latéraux. Et nous avons décidé de ne pas aller à cet extrême.

Et c’est pour cela qu’en fin de journée, vers 18 heures, nous avons fait appel à la coopération internationale, à la coopération sous régionale mandat de la Cedeao. La partie nigériane nous a répondu favorablement. Et nous avons procédé plutôt à des frappes ciblées, chirurgicales, pour détruire des engins à l’intérieur qui pouvaient leur permettre de venir attaquer à nouveau.

Parce qu’ils avaient le plan de venir prendre possession de l’aéroport et autres. Donc, il fallait tout de suite finir avec cela. Déjà, ceux qui étaient dans la base ont pris la clé des champs, et la base était vidée. Et puis, après cela, nous avons utilisé les renforts qui nous étaient venus de Ouidah et du camp d’Allada pour faire le ratissage. Et ce ratissage a été fait avec également les éléments des forces spéciales françaises qui nous sont venus d’Abidjan et qui ont fini le travail que nous avions commencé.

Alors, combien d’avions nigérians sont intervenus ce dimanche après-midi pour neutraliser les mutins ?

Pour neutraliser les mutins, il y a eu un avion. Mais cet avion a été utilisé à plusieurs reprises. L’avion a fait plusieurs tours pour bien achever le travail et de manière efficace.Parce que, quand le ratissage a été fait, il n’y a vraiment pas eu d’habitation, d’environnement qui ont été atteints, ni de mort.

Est-ce que vous avez eu aussi le concours d’un avion d’observation français ?

Tout à fait. Nous avions eu le concours d’un avion de reconnaissance du côté français qui nous a permis, en fin de journée, de déterminer exactement les positions des mutins et qui nous a renseigné de manière précise sur leur position.

Et vous avez eu aussi le concours de forces spéciales françaises qui vous sont venues de la base d’Abidjan, c’est ça ?

Oui, je vous le confirme et c’était en fin de journée. Ils sont arrivés effectivement, ces forces spéciales françaises, où ils ont concouru au ratissage. Après que l’armée nigériane a fait ses frappes et tout était terminé, ces forces spéciales nous ont aidés à faire le ratissage.

Et alors, que sont devenus les mutins ? Vous dites qu’ils ont pris la clé des champs, mais concrètement, ils ont pris la route du Nord, c’est ça ?

Je ne saurais vous dire exactement où ils sont partis, mais nous avons eu la certitude que certains se sont retrouvés au Nord parce que les deux chefs d’état-major qui avaient été kidnappés ont été libérés au Nord du Bénin, exactement dans la commune de Tchaourou. Environ 400 kilomètres de Cotonou.

Et alors aujourd’hui, où sont-ils, notamment le lieutenant-colonel Tigri, le chef présumé de ce commando ?

Je ne saurais dire exactement où ils se trouvent, mais je sais qu’ils ont pris la clé des champs et les services de renseignement sont en train de travailler là-dessus.

Est-ce que vous pensez qu’il est encore sur le territoire national ?

Je ne saurais vraiment le dire.

Alors, ce lieutenant-colonel Tigri s’est présenté comme le chef de cette tentative de coup d’État, mais est-ce que c’était vraiment le chef ou est-ce qu’il y avait au-dessus de lui un commanditaire ?

Je ne saurais vraiment le dire en tant que chef militaire. Moi, en tant que chef militaire, je me limite à mon rôle de commandant Garde républicaine et je vais laisser les services compétents de la République faire les investigations qu’il faut et nous révéler si oui ou non, il y avait des commanditaires aussi en interne qu’à l’externe.

Vous connaissez bien le lieutenant-colonel Tigri. Est-ce que ces derniers mois ou ces dernières semaines, il y avait eu des signes annonciateurs dans son comportement ?

Le lieutenant-colonel Tigri, c’est un officier que je connais très bien et qui me connait très bien. Mais j’avoue que nous n’avons pas vu cela venir et nous n’avons eu aucun signe venant de lui. Je sais qu’il est le commandant des forces spéciales de la garde nationale et jusqu’à présent, il n’a pas montré des signes qui pouvaient nous laisser soupçonner quoi que ce soit. Donc, ça a été une surprise pour nous.

Depuis dimanche, on parle beaucoup de l’aide que le Nigéria vous a apportée. On parle aussi évidemment du rôle de la France. Mais est-ce que l’armée béninoise elle-même n’a pas joué un premier rôle très important dès dimanche matin ?

C’est important de le mentionner. Déjà que notre armée, depuis la Conférence des Forces de la Nation, a décidé de se retirer dans les casernes et d’être une armée républicaine et nous l’avons été jusqu’à présent.

Et le dimanche dernier, nous l’avons à nouveau montré. Parce que l’unité qui assure la sécurité du chef de l’État et des institutions de la République, son appellation de garde républicaine n’est pas un hasard. Dans d’autres pays, on parle de garde présidentielle.

Donc, le qualificatif de garde républicaine, c’est très important pour nous. Et nous l’avons démontré le dimanche dernier que, quoi qu’en soit les divergences qu’il y a dans le pays, l’armée reste une et indivisible. Donc, cette armée a montré à l’opinion nationale et internationale qu’elle est une armée particulière dans la sous-région et qu’elle reste républicaine.

C’est pourquoi, cette armée a mis en déroute les assaillants. Si elle était divisée, elle ne l’aurait pas fait. Nous avons fait le gros du travail, toute la journée, avant de faire appel à la coopération sous-régionale et internationale pour parachever le travail qui était si bien fait.

Quand le colonel Mamadou Doumbouya a pris le pouvoir en Guinée-Conakry, il y a 4 ans, il commandait la nouvelle force anti-terroriste mise en place à l’époque par le président Alpha Condé.

Est-ce que le colonel Tigri n’occupait pas plus ou moins la même position au Bénin jusqu’à dimanche dernier ?

C’est vrai qu’il y avait une similitude avec le coup d’État en Guinée, c’est vrai. Les deux acteurs occupaient à peu près les mêmes fonctions mais, heureusement, les résultats n’ont pas été les mêmes. Les armées sont différentes et notre armée a montré qu’elle est différente des autres armées sous régionales.

Il y a un certain nombre de régimes militaires aujourd’hui autour du Bénin. Est-ce que l’action de dimanche dernier a pu être inspirée par ce qui s’était passé dans ces pays sahéliens et en Guinée ces dernières années ?

Oui, c’est fort possible. Vous savez, il y a des brebis galeuses partout. Donc, moi, je peux classer ce qu’il y a eu dimanche dernier dans un cas d’éléments en perte de vitesse, des gens qui se sont égarés.

Peut-être soit ils regardent trop les films, soit ils voient autour d’eux ce qui se fait et penser qu’ils peuvent le faire également chez eux. Mais je crois qu’ils ont appris à leurs dépens que tout ne se copie pas. Le Bénin est Bénin.

Dans leurs revendications le dimanche dernier, les mutins affirmaient que l’armée était mal organisée face au péril djihadiste dans le nord de votre pays et que les familles des soldats tombés au front n’étaient pas assez accompagnées et considérées. Qu’est-ce que vous répondez ?

Qui veut noyer son chien l’accuse de rage. Aujourd’hui, l’armée béninoise est mieux équipée, beaucoup mieux équipée qu’elle était il y a une dizaine d’années. La preuve, la dizaine d’engins blindés que les assaillants ont utilisés pour venir attaquer la garde républicaine, ces engins ont été acquis pendant ces dernières années. Donc, nous ne possédions pas d’équipement aussi moderne par le passé.

Aujourd’hui, nous avons des camps militaires bien construits. Vous pouvez venir au Bénin pour le constater. Ce que nous avons aujourd’hui, nous pouvons nous enorgueillir.

Des textes ont été pris récemment pour la prise en charge aussi bien des blessés pendant les opérations que les familles des victimes de l’opération Mirador. Et ces textes sont déjà appliqués. Ça fait au moins deux, trois ans que c’est appliqué. Donc ça, c’est des justifications fallacieuses pour pouvoir justifier leurs actes.

Le fait que trois jours après le colonel, le chef des mutins soit toujours en fuite et soit introuvable, ça ne vous inquiète pas ? Non, pas du tout, nous ne sommes pas du tout inquiets. Nous sommes aguerris. Si demain, il devait le répéter, nous en ferons face également.

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