Armement mondial : des ventes record, une production en surchauffe
Le marché mondial de l’armement connaît une nouvelle accélération spectaculaire. Selon le dernier rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les ventes des 100 plus grands fabricants d’armes ont atteint en 2024 un niveau jamais enregistré, portées par une demande dopée par les conflits en Ukraine et à Gaza. Mais cet essor fulgurant révèle un paradoxe : alors que les carnets de commandes explosent, les chaînes de production peinent à suivre, menaçant l’équilibre industriel de plusieurs grandes puissances.
Une industrie en tension malgré des revenus historiques
La hausse mondiale de la demande tire vers le haut les ventes d’armements, mais la mécanique industrielle craque à de nombreux endroits. En Europe, les constructeurs doivent composer avec des contraintes inédites qui fragilisent leur capacité de production.
Avant l’invasion de l’Ukraine, une part importante du titane utilisé par l’aéronautique européenne, notamment Airbus et Safran, provenait de Russie. Les sanctions ont rendu cet approvisionnement quasi impossible, obligeant l’industrie à revoir d’urgence ses chaînes logistiques.
Autre écueil majeur : la raréfaction des terres rares, dominée par la Chine, qui a renforcé ses restrictions à l’exportation. Résultat : des entreprises comme Thalès en France ou Rheinmetall en Allemagne doivent restructurer leurs chaînes de production, un processus long et coûteux.
Aux États-Unis, les géants de la défense en mode essoufflé
Outre-Atlantique, les chiffres sont impressionnants : en 2024, les entreprises américaines du Top 100 ont vu leur chiffre d’affaires cumulé progresser de 3,8 %, pour atteindre 334 milliards de dollars.
Parmi les mieux placées figurent les mastodontes Lockheed Martin, Northrop Grumman et General Dynamics, qui profitent pleinement de l’effort de réarmement américain.
Mais là encore, l’industrie se heurte à des limites structurelles. Deux programmes phares accumulent retards et surcoûts :
- le F-35, avion de combat déjà connu pour ses dépassements budgétaires ;
- le programme des sous-marins de classe Columbia, essentiels au renouvellement de la force de dissuasion ;
- le missile balistique intercontinental Sentinel (ICBM), dont le développement connaît des difficultés techniques.
Ces retards illustrent l’incapacité croissante de l’appareil industriel américain à absorber la demande croissante.
En Russie, des commandes massives mais une main-d’œuvre insuffisante
Deux fabricants russes; Rostec et United Shipbuilding Corporation; figurent dans le classement des 100 plus grands producteurs mondiaux. Leurs revenus ont bondi de 23 %, atteignant 31,2 milliards de dollars, grâce à une demande intérieure tirée par l’économie de guerre.
Mais Moscou fait face à un obstacle majeur : la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, liée à la mobilisation, à l’exode des jeunes travailleurs et à l’intensification des besoins militaires. Une situation qui contraint fortement la capacité russe à maintenir un rythme de production soutenu.
Une industrie mondiale au bord de la saturation
Partout, l’industrie de défense tourne à plein régime. Trop, selon le Sipri, qui alerte sur une surchauffe inquiétante : les commandes s’accumulent plus vite que les capacités de production ne s’adaptent.
Entre chaînes logistiques fragilisées, dépendances stratégiques, pressions géopolitiques et tensions sur la main-d’œuvre, la dynamique actuelle crée un déséquilibre majeur.
La demande d’armement, loin de ralentir, continue de croître, alimentée par un climat international instable. Mais si les industriels ne parviennent pas à surmonter les limites structurelles qui freinent la production, la sécurité mondiale pourrait dépendre d’un appareil industriel lui-même fragilisé.
Les ventes d’armes n’ont jamais été aussi fortes, mais l’industrie qui les produit semble, elle, au bord de l’essoufflement.

