Affaire Sodjinou c/ Les Démocrates : un véritable recul du contentieux electoral au Bénin

Tous les juristes s’accorderont ici sur le fait que la décision rendue par le Tribunal de première instance de Cotonou, première classe, statuant en référé, constitue une véritable insulte au droit.
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Rappel des faits
Par une ordonnance rendue le 13 octobre 2025, Dossa Guillaume Lally, président du Tribunal de première instance de Cotonou, a ordonné — à quelques heures seulement de la clôture du dépôt des candidatures pour la présidentielle de 2026 — au parti politique Les Démocrates de restituer au député Sodjinou sa fiche de parrainage, tout en enjoignant à la CENA de délivrer un nouveau parrainage et d’annuler le précédent en cas de résistance du parti.
Une décision rendue en totale violation du droit béninois, et dont l’exécution précipitée menace de replonger le pays dans un cycle de tensions politiques à la veille d’un scrutin majeur.
1. Incompétence manifeste du Tribunal de première instance
Selon l’article 117 de la Constitution du 11 décembre 1990, la Cour constitutionnelle est seule compétente pour connaître du contentieux électoral.
En se déclarant compétent pour trancher un litige relevant du processus électoral — et a fortiori en référé — le Tribunal de première instance a commis une violation flagrante de la Constitution.
La jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle interdit expressément toute immixtion des juridictions ordinaires dans le champ électoral.
2. Une motivation juridiquement infondée
Le juge fonde son ordonnance exclusivement sur le Code de procédure civile, sans jamais citer le Code électoral, pourtant au cœur du débat.
Sur quelle base légale a-t-il donc pu apprécier le bien-fondé de la demande du plaignant ?
L’omission du texte pertinent invalide à elle seule la portée juridique de sa décision.
3. Violation des dispositions explicites du Code électoral
Le Code électoral béninois précise sans ambiguïté que le parrainage appartient au parti, non au député.
L’article 132 dispose :
“Toutefois, un élu ne peut parrainer que le duo présenté ou soutenu par son parti politique.
En cas d’alliance ou d’accord politique entre partis, le parrainage peut être attribué au duo désigné dans le cadre de cet accord, dûment notifié à la CENA.”
En ordonnant la restitution du parrainage au député Sodjinou, le juge a mal interprété la loi et, pire, ajouté au droit des dispositions qu’il ne contient pas, en enjoignant la CENA à délivrer un nouveau parrainage et à annuler l’ancien. Une démarche totalement ultra vires.
4. Absence d’urgence caractérisée
Le juge n’établit aucune situation d’urgence.
Le député Sodjinou avait librement remis son parrainage à son parti plusieurs mois auparavant. En cas de désaccord, il pouvait saisir la Cour constitutionnelle dans des délais raisonnables.
Le fait d’attendre les dernières heures avant la clôture du dépôt des candidatures ne crée pas l’urgence : cela relève au contraire d’une négligence manifeste du requérant.
Or, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
5. Confusion entre référé et jugement au fond
Une mesure d’urgence (ou de référé) est, par nature, conservatoire et provisoire.
Le juge des référés n’a pas le pouvoir d’ordonner à la CENA la délivrance d’un nouveau parrainage — un acte irréversible.
Seul le juge du fond, après débat contradictoire, peut se prononcer sur une telle mesure.
La seule décision juridiquement concevable aurait été d’enjoindre au parti de restituer le parrainage, sans impliquer la CENA.
6. Une exécution précipitée qui alimente la suspicion
Rendue dans la nuit du 13 octobre à 22h, l’ordonnance a été exécutée dès l’aube du 14 octobre : la CENA a annulé le parrainage détenu par Les Démocrates, alors même que la décision prévoyait d’abord la restitution par le parti, puis seulement l’intervention de la CENA en cas de résistance.
Le plaignant n’a jamais démontré avoir tenté une démarche préalable auprès de son parti.
Cette exécution fulgurante renforce la thèse d’une collusion politique entre certaines autorités judiciaires et administratives.
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Conclusion
Cette décision, aussi précipitée qu’illégale, marque une nouvelle dérive dans la politisation de la justice béninoise.
Elle foule aux pieds les principes élémentaires du droit électoral, de la séparation des pouvoirs et du respect de la Constitution.
Si elle devait faire jurisprudence, elle ouvrirait la voie à une instrumentalisation systématique du juge des référés à des fins politiques — un pas de plus vers la destruction de l’État de droit.
*Me Sylvie Bissaloue.*